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Chère Javiera,

Je te remercie d’abord de m’avoir invité à écrire. D’autant plus qu’écrire sur ton travail artistique est pour moi un vrai défi : suivre la suite de tes idées, essayer d’attraper dans le concept ce mouvement de liberté radicale que tu te donnes au moment de créer n’est pas pour moi une tâche facile. Sauf si on se permet de penser, je me disais, que ton se-laisser-vraiment-aller-dans-la-suite-des-idées c’est peut-être une manière pour toi de créer un espace habitable, un espace délicatement construit entre le sens et le non-sens, justement là où quelque chose comme une création devient possible.
En m’invitant donc à écrire sur ton Phasing-Mamzug, je suppose que tu supposais que je supposais cela. Mais c’est une supposition, bien entendu.
Cette navigation entre le sens et le non-sens était présente aussi, au moins c'est-ce que j'ai cru comprendre, dans les ateliers que tu proposais pendant la résidence de création au communautés du GEM de Saint Denis ainsi qu’a celle du Coucou Crew à la Station-Gare des mines. Il s’agissait, par exemple, d’essayer d’écouter un dessin, c’est-à-dire de transmettre et de recevoir autrement une forme conventionnée, un dessin, et par cela même de créer des nouvelles conventions, des nouvelles tables, comme dirait le Zarathoustra de Nietzsche.
Pourquoi les personnes marginalisées? en souffrance psychique et/ou sociale? Peut-être parce qu’il s’agit des sujets qui redéfinissent, par leur existence même, le sens de nos existences intégrées, pas-trop-folles, norme-mâles... Et si tout le monde était fou ? Et si on était tous des réfugiés de nous-mêmes ? C’est au moins ce que j'observais dans ces tables autour desquelles tu nous invitais à jouer, à dessiner, à chanter, à repérer, à cartographier. Comme si quelque part tu voulais montrer qu’on peut toujours créer du nouveau en se mettant tout simplement d’accord autour d’une table quelconque, tout en reconnaissant que ces nouveaux sens et ces nouveaux langages pourraient être tout autres qu’ils ne les sont. Des nouvelles tables, encore…
Je me disais tout cela, au moment de t’écrire, pour comprendre que, dans ton travail, le sens n’est peut-être pas à chercher dans la profondeur des choses mais plutôt dans les enchaînements métonymiques de leur surface. Car c’est peut-être seulement dans la surface continue des choses qu’on peut à la fois échapper à l’illusion mystique du sens et éviter de basculer dans la profondeur trompeuse et mélancolique du non-sens. C’est peut-être aussi pour cette raison que ton travail, chère Javiera, est radicalement contemporain : car ce que tu cherches, aussi bien dans ta manière de travailler que dans les œuvres qui en résultent, ce ne pas tant le sens, la direction, l’intention, qu’une certaine forme d’ab-sens, pour le dire avec Lacan, une absence temporaire de sens qui tout en se risquant sur le terrain du non-sens ne s’y laisse pas complètement aller, permettant ainsi d’ouvrir un espace dans lequel refaire nos terrains de jeu, recréer nos significations, resservir nos tables. Enfin, peut-être…
Bien amicalement,
Diego Vernazza